Assise sur ce mur, j’observe passer les voitures.
J’accepte de respirer leur air impur,
En échange de la quiétude que leur vue me procure.
Quand la vie fait bien trop de bruit,
Ou que mon anxiété s’y introduit,
Alors je m’enfuis.
C’est un lieu ouvert, à peine caché,
Où chacun peut, s’il le souhaite, s’y réfugier.
J’ai pourtant décidé de me l’approprier :
Mon endroit, comme j’aime l’appeler, mon foyer.
Et quand je ne peux m’y rendre,
Je laisse sa simple pensée me détendre.
Bien sûr, ce n’est pas le seul endroit,
Que je m’approprie tel un roi.
Instinctivement, je m’imagine sur cette plage,
Dans cette petite ville qui m’a vue prendre de l’âge.
J’y retourne parfois et je comprends vite
Pourquoi Proust en a fait sa favorite.
J’aime cette ville comme un vieil ami d’enfance,
Pour qui on a de l’affection mais par intermittence.
L’ami qu’on aime revoir autour d’un café,
Pour rattraper tous ces jours où l’on s’est manqué,
Mais qu’on ne pourrait jamais voir toute l’année.
Tel est le sentiment discret que j’éprouve en secret,
Lors de mes courts séjours à Cabourg.
J’aime y retourner,
Mais je ne saurais y habiter,
J’aime son air marinier,
Mais un jour de plus et il me donnerait la nausée.
J’aime le bruit de la mer,
Mais son humidité me fait la misère.
Cependant, je ne veux abandonner son port,
Et continuerai à en faire mon fort.
Une partie de moi est toujours là-bas,
Entre le marchand de glaces et le cinéma.
J’ai mes habitudes, mes petites manies,
Que je ne manque jamais, même sous la pluie.
Le dernier soir, sur sa plage sauvage,
Quand le monde s’endort, j’y trouve mon réconfort.
Je m’empresse de la rejoindre sans faire de bruit,
Comme un enfant qu’on aurait puni,
Tentant de braver l’interdit.
Je m’y ressource et récupère de l’énergie,
Bientôt prête à retrouver mon autre vie à Paris.
J’ai longtemps adoré plonger dans le passé.
Ce quelque chose de figé que je ne pouvais changer,
Avait le don de calmer mon anxiété.
Hier pourtant,
Je suis tombée sur des photos de moi enfant,
Et j’ai pleuré devant ce petit être innocent.
Était-ce moi devant l’objectif,
Ou un monde alternatif ?
Je me suis surprise à me demander s’il aimerait
Celle que je suis devenue.
Si ce futur que j’avais souhaité parfait était enfin réalité.
J’avais grandi,
Au prix des déceptions, des désillusions
Et des remises en question.
Mais aussi des moments joies, de tendresse
Et toutes ces nuits d’ivresse,
À contempler le monde endormi dans sa paresse,
Alors que le temps filait à toute vitesse.
Aujourd'hui, j'accepte la vieillesse.
Parfois je ne me sens plus moi, avec la douloureuse impression que ce ne sera plus jamais le cas. Que les individus de mon passé ont tout emporté.
Et c’est peut-être de ma faute après tout, je suis la conséquence de mes relations et de mes décisions, non ?
L’idée de vivre le restant de mes jours avec tout ça me terrifie, quand l’idée qu’il y en aura de plus en plus me paralyse.
Et puis parfois, comme si le décor n’avait jamais manqué de s’effondrer ou que la pièce ne s’était jamais arrêtée, le théâtre de mes sentiments reprend.